"Après son Livre I du Clavier bien tempéré (Répertoire Nº136, note 8), Evgeni Koroliov, pianiste russe aujourd′hui établi en Allemagne, confirme avec cette exécution du Livre II ses options interprétatives et son absolue maîtrise de ce si complexe corpus. Parfaitement sereines, ces lectures laissent se dévoiler comme à livre ouvert les trésors d′invention des Préludes tout comme les sortilèges contrapuntiques des Fugues. Le toucher de Koroliov, d′une constante beauté et densité, assure un parfait déroulement des voix, sans jamais recourir au moindre effet ni dans l′articulation ni dans l′intonation, à la différence de Glenn Gould hier, et par exemple d′Olli Mustonen aujourd′hui, et rappelle plutôt la plénitude des enregistrements de Tatiana Nikolaeva. Le pianiste adopte le style de jeu - staccato, louré, legato... - le plus conforme au caractère qu′il choisit de donner à chaque pièce, en conservant toujours la meilleure intelligibilité entre les voix, dans une plage de nuances soigneusement fixée du pianissimo au forte. Plutôt que l′opter, au sein des pièces, pour un soulignement expressif selon les épisodes, il choisit de caractériser chaque pièce dans la totalité de son déroulement. Les rapports entre Prélude et Fugue paraissent d′ailleurs si construits qu′ils semblent pouvoir se classer en deux familles: ceux qui permettent une approche commune pour le Prélude et la Fugue (nº 5 netteté et rebond, nº 9 délicatesse et stabilité, nº 10 délié et tension, nº 15 merveilleux babillage, nº 16 autorité et déclamation, nº 19 calme simplicité, nº 21 lumineuse sérénité), et ceux pour lesquels ce rapport est marqué par le contraste entre le prélude et la fugue (nº 1 plénitude/tonicité, nº 2 force et précision/sérénité, nº 14 ampleur de la respiration/affirmation, nº 17 intensité et sérieux/esprit ludique, nº 23 délié insouciant/calme ampleur). Au-delà de cette approche particulièrement cohérente, il faut aussi souligner les plus enthousiasmantes réussites expressives: le nº 3, avec son magnifique balancement sur les accords arpégés du Prélude, et l′élan dans la superposition des voix de la Fugue; le nº 18 et la clarté et l′avancée du Prélude suivie de la confidence recueillie de la Fugue; le nº 20 pour la retenue mystérieuse du Prélude et l′énonciation ornée de la Fugue; le nº 22 avec le tissage serré dans le calme du Prélude et la tension de la Fugue, maitenue jusqu′à la grandiose strette finale; le nº 24, imprévisible progression du discours sur un rythme tantôt détaché, tantôt posé dans le Prélude, suivi du jaillissement foisonnant et parfaitement stable de la Fugue. Plus encore qu′avec leurs prédécesseurs du Livre I, à la matière sans doute moins élaborée, ces Préludes et Fugues du Livre II sont pour Evgeni Koroliov l′occasion de montrer sa compréhension intime de ces textes, de leur construction et de leurs progressions harmoniques."
Gérard Honoré

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