"La pianiste allemande Erika Haase avait déjà consacré il y a quatre ans un CD complet à certains des grands cycles d′Études du XXe siècle (Ligeti, Bartók, Messiaen et Stravinsky), disque distingué à l′époque par un 10(/10) de Réepertoire, surtout pour une très remarquable vision d′ensemble des Études de Ligeti.
Entre-temps le compositeur du Grand Macabre s′est lancé dans la rédaction d′un 3e Livre, dont Erika Haase peut nous livrer aujourd′hui les deux premières pièces, toujours intéressantes mais qui témoignent quand même chez Ligeti d′un certain affadissement de l′inspiration. Restent présents une très belle maîtrise de la forme, un sens aigu de la mise en scène dans l′organisation des événements sonores, mais pas de quoi hisser ce début de troisième cahier au même niveau d′importance fondamentale que les deux premiers. Avant d′aborder, en fin de disque, les deux Livres de Debussy, qui sont quand même le cycle princeps sans lequel tout ce retour des compositeurs du XXe siècle à l′Étude pianistique en tant que lieu tout à la fois de virtuosité démonstrative et d′élégance formelle, n′aurait sans doute pas eu lieu, ou du moins pas de la même facon, Erika Haase s′accorde quelques excursions moins attendues: deux Études de jeunesse (1940-1941) de Lutoslawski, musiques volubiles, fluides, encore peu caractérisées mais d′un agrément certain, et surtout les Études tardives de Scriabine au langage elliptique, déstabilisé, troublant, qu′elle réussit avec une variété et une délicatesse de toucher ensorcelantes.
Avec les Études de Debussy Erika Haase termine son exploration par un cycle où la virtuosité digitale se doit d′être complétée par un sens architectural perpétuellement en éveil. Et surtout eile s′aventure sur un teirain de concurrence discographique particulièrement âpre, où l′on a déjà pu recenser quelques réussites d′une aisance confondante (Thiollier, Crosstey), sans compter de nombreuses autres visions, moins souveraines mais d′un intérêt constant (Pollini, Ciccolini, Béroff, Pludermacher...).
Les Études d′Erika Haasa sont celles d′une véritable magicienne de la sonorité, version tout en rondeurs, sans pour autant renoncer à l′exaltation de certaines tensions harmoniques, qui rend ces oeuvres d′un accès presque facile. Parfois, en termes de pur potentiel pianistique, cette exécution prodigieuse de confort et de naturel accuse quelques limites (Pour les accords), mais on s′en accommode fort bien. Espérons que pour certains, la parution de ce brillant second volume puisse constituer le stimulus décisif pour les inciter à partir à la recherche du premier (au look dûment amélioré pour l′occasion), et commencer ainsi à édifier leur indispensable discothéque raisonnée consacrée aux musiques du siècle dernier qui vont définitivement s′installer au grand répertoire du nôtre."
Laurent Barthel

<< retourner